20 octobre 2025
Innovation numérique chez Takeda: entretien avec Jérôme Veyret, Head of Business Excellence – Strategy & Transformation
L’industrie pharmaceutique connaît actuellement une mutation : la numérisation, l’automatisation et la durabilité influencent de plus en plus les processus de production et commerciaux. Jérôme Veyret, Head of Business Excellence – Strategy & Transformation, explique dans une interview comment une entreprise internationale de premier plan telle que Takeda gère cette mutation.
1) Rôle au sein de l’équipe de direction
Quel est votre rôle au sein de l’équipe de direction de Takeda et quels sont les grands axes de votre travail?
Mon rôle au sein de l’équipe de direction du site de Neuchâtel est d’assurer la mise en œuvre des programmes de transformation et la stratégie d’Excellence Opérationnelle de Takeda, en accord avec la vision de l’entreprise. Cette mission s’articule autour de plusieurs domaines, dont le processus de pilotage de la stratégie à court terme (annuelle), mais aussi à long terme (cinq à dix ans). Un élément essentiel de ma mission est le développement et la mise en œuvre des principes d’Excellence Opérationnelle. Je suis aussi responsable de la gestion du portefeuille de projets du site (PMO), ainsi que de la gestion des risques et de la continuité des affaires (Business Resilience).
Quel rôle jouent pour vous les bonnes pratiques (Best Practices)?
Dans un contexte de transformation permanente, le rôle de mon équipe est aussi d’identifier et d’exploiter les bonnes pratiques internes et externes importantes pour notre site ou notre branche, afin de progresser plus rapidement vers nos objectifs et de bénéficier d’approches innovantes. Nous voulons apprendre des succès comme des échecs pour nous améliorer en permanence.
2) Mutation du travail en production
Comment le travail se modifie-t-il dans la production pharmaceutique?
Dans l’industrie pharmaceutique, le travail en production est en pleine mutation.
Même si les enjeux fondamentaux de sécurité au travail, de qualité, de productivité et de dimension humaine demeurent, ils se trouvent profondément transformés par:
– l’accélération du développement des technologies et du digital,
– l’évolution des générations et des attentes vis-à-vis du monde du travail,
– les enjeux environnementaux et la multiplication des risques géopolitiques.
Un site de production pharmaceutique comme le nôtre, qui fournit trois molécules complexes dans plus de 80 géographies, est au cœur de ces changements et du monde dit VUCA (Volatilité, Incertitude, Complexité et Ambiguïté).
Le défi quotidien est d’évaluer et, si possible, d’intégrer ces évolutions constantes en faisant évoluer nos méthodes de travail, les moyens techniques et humains, tout en assurant notre première mission: que nos patients reçoivent les traitements dont ils ont besoin dans un environnement de plus en plus risqué et compétitif.
Qu’impliquent ces missions?
Cela implique:
- de pouvoir identifier et prioriser les problèmes à résoudre pour atteindre nos objectifs stratégiques, en ayant avant tout en tête la création de valeur pour les patients, nos clients et nos actionnaires.
- de déterminer les domaines de développements technologiques et humains nécessaires pour soutenir ces objectifs.
Il s’agit aussi de penser l’entreprise comme un réseau composé de ses partenaires internes et externes (fournisseurs, consultants, écosystème technologique local), plutôt que comme une entité isolée. Cette ouverture nous permet de mieux exploiter les ressources, d’être plus flexibles et de bénéficier de la diversité d’expériences et richesse de savoirs.
L’enjeu est également de faire connaître nos métiers au-delà des filières classiques du milieu pharmaceutique, afin d’attirer les nouvelles compétences et les talents dont nous avons besoin, que ce soit en robotique ou dans le domaine du data management.
Quel est le rôle de la gestion des données dans les processus?
La gestion des données devient centrale dans tous nos processus, avec des technologies comme l’intelligence artificielle, qui nous permettent de les exploiter plus rapidement et efficacement. Autrefois l’apanage des départements IT, c’est désormais un domaine fondamental que chaque fonction de l’entreprise doit intégrer et maîtriser.
3) Évolutions attendues dans les cinq prochaines années
Quelles évolutions attendez-vous dans les cinq prochaines années?
Nous n’en sommes, je pense, qu’aux prémices dans le domaine de la gestion des données. Les structures de données et les outils pour les exploiter se mettent en place et, même si nous commençons à en voir les premiers bénéfices, ceux-ci restent encore trop réservés aux experts et peu exploités. La première étape sera donc la démocratisation de ces outils jusqu’au niveau des techniciens de production avec des «use case» générant de la valeur pour l’entreprise.
Quel est à cet égard le rôle du machine learning, de l’IA, etc.?
Le machine learning, les modèles prédictifs, l’IA et la robotisation – virtuelle (pour les processus supports/administratifs) ou physique (pour les processus de fabrication) – seront au cœur des changements à venir. Ils joueront peut-être plus un rôle d’assistants aux tâches qu’un rôle de substitution de l’humain, même si la compétitivité et la robustesse nous orientent vers des lignes fortement automatisées.
Y a-t-il d’autres tendances à prendre en compte?
Une nécessité importante est celle d’une économie durable, donc entre autres réduire notre impact environnemental: développement de l’efficacité énergétique, utilisation des énergies vertes, réduction des déchets.
D’un point de vue supply chain, les incertitudes géopolitiques et les impacts de la pandémie de COVID-19 ont mis en lumière la nécessité de réévaluer et diversifier les processus de production critiques.
Le digital proprement dit a un impact environnemental non négligeable. Dans le même temps, les capacités digitales permettent aussi d’identifier des opportunités nouvelles, par exemple pour optimiser notre consommation d’énergie. Cet exemple pris pour l’environnement s’applique sur tous les domaines. La transformation digitale permet de connecter des domaines qui ne l’étaient pas, de rendre visibles et exploiter rapidement des informations jusqu’ici inexplorées et ouvre des possibilités nouvelles et uniques. Reste à définir les priorités pour ne pas s’éparpiller et créer de la valeur, là est le défi de toute entreprise aujourd’hui.
Et qu’en est-il en Suisse?
Nous avons su développer des health valleys dans plusieurs régions, formant un bassin de talent et d’expérience qui constitue un véritable atout concurrentiel. Il ne faut pas non plus oublier notre écosystème universitaire et les nombreuses start-up innovantes présentes dans le pays. C’est là que penser l’entreprise comme un réseau change la donne en termes d’innovation.
Pour renforcer la place suisse, le principal enjeu pour l’industrie pharmaceutique suisse est à mon avis la compétitivité. Des gisements de productivité existent, et le développement de l’excellence opérationnelle et digitale permettra de mieux les exploiter. Au-delà des coûts cependant, ce sont l’expertise et l’innovation qui feront la différence. Et la Suisse est bien positionnée pour cela, que ce soit en robotique, en mécanique ou dans le digital.